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A Hammamet le seul hôtel qui reste ouvert abrite une maison de retraite, le centre Carthagea, installé dans l’Alhambra Thalasso.

L’arrivée au centre Carthagea, à Hammamet, ressemble à un saut dans le temps – de trois mois en arrière. Dans l’un des restaurants de l’hôtel cinq-étoiles Alhambra Thalasso, partiellement reconverti en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en 2016, une aide-soignante est attablée avec un résident. Elle lui rajuste ses lunettes tandis qu’à une table voisine, l’une de ses collègues tient la main d’un patient en lui parlant doucement. L’atmosphère est feutrée, comme en n’importe quel début de journée dans cette maison de retraite hors normes.

Mais ce calme cache une organisation au cordeau. « Dès le début de la crise du coronavirus en Tunisie, nous avons mis en place des procédures assez strictes, explique Cécile Hardy, directrice des soins de Carthagea. Le personnel soignant reste confiné quatre jours à l’hôtel pour travailler, puis part se confiner chez soi via un transport assuré par le centre, pendant qu’une autre équipe prend le relais. Lorsqu’elle est dehors, toute l’équipe soignante respecte les gestes barrières et, comme le gouvernement tunisien a imposé très vite le confinement total et un couvre-feu, nous n’avons pas eu de problèmes. »

En 2015, au lendemain des attentats du Bardo et de Sousse, personne ne croyait à ce nouveau concept d’Ehpad qui voulait reconvertir certains hôtels en centres médicalisés pour personnes âgées en provenance de l’étranger. Alexandre Canabal a mis plus d’un an à décrocher l’autorisation d’ouverture. « Nous fonctionnons exactement comme n’importe quel Ehpad privé français, avec les mêmes normes et le même tarif [2 700 euros par mois], sauf que les résidents ont plus l’impression d’être en vacances qu’à l’hôpital, avec la mer juste à côté et les touristes qu’ils côtoyaient de temps en temps avant la crise du Covid-19 », dit-il.

Une aide-soignante par résident

Pour le patron de Carthagea, continuer de travailler malgré la crise était essentiel pour les patients et leurs familles, très inquiètes face à la situation des Ehpad en France, où l’on recense plus de 12 000 morts du Covid-19. « Ma famille ne cesse de me dire au téléphone qu’ils sont bien contents que je sois ici en ce moment », témoigne Pierre Lagrange, 92 ans, retraité de l’entreprise Saint-Gobain, originaire de Rouen. Après avoir survécu à trois AVC, il réside depuis un an à Carthagea.

Le coronavirus, il le perçoit à distance, via la télévision et les appels téléphoniques avec sa famille. Mais aussi à travers le changement de certaines de ses habitudes, comme le fait de ne plus pouvoir se baigner dans la piscine de l’hôtel, désormais interdite. « J’avais aussi beaucoup de visites depuis la France. Mes voisins, qui devaient venir, ont annulé, c’est bien dommage », soupire-t-il. Mais il ajoute que son aide-soignante de 25 ans « est toujours de bonne humeur, alors on oublie tout le reste ! ».

« Avoir une aide-soignante par résident réduit beaucoup le risque de contamination, comparé à la France où vous en avez une pour une douzaine de patients », se félicite Cécile Hardy.

Pour d’autres résidents, l’épidémie existe à peine. Hugues Langlois, 86 ans, originaire de la région lyonnaise, lit tranquillement un roman policier de John Grisham à l’ombre du patio. Après soixante-cinq ans de mariage, il a quitté sa vue sur les collines de l’Ardèche pour accompagner jusqu’à la fin son épouse, Jeanette, atteinte d’une maladie dégénérative. « Je devais rentrer en mai pour régler quelques affaires. Mais maintenant, je me félicite d’avoir eu la chance d’être en Tunisie quand la catastrophe est arrivée. »

Projet de formation en gérontologie

A Hammamet, hormis l’Alhambra Thalasso, les 126 hôtels sont fermés. Pour Alexandre Canabal, le contexte économique et sanitaire devrait pousser à une réflexion autour du tourisme en Tunisie. « Le tourisme médical a un vrai avenir ici, où beaucoup d’hôtels sont endettés ou désaffectés, surtout ceux qui ne sont pas directement en front de mer. Je pense qu’il faut penser à un changement de formule pour certains, d’autant qu’il existe du personnel formé », expose-t-il. Il prévoit d’ailleurs d’ouvrir une école de formation en gérontologie, complémentaire à celle déjà existante de Nabeul, et un nouvel Ehpad.

Le pays ne compte pour l’instant que deux établissements de ce type. Ouvert depuis 2009 à Gammarth, en banlieue de Tunis, le centre Resort Medical n’a lui aussi recensé aucun cas de Covid-19, son directeur ayant confiné ses employés avec la trentaine de résidents sur place dès le 9 mars. Soit treize jours avant le début du confinement en Tunisie.